26 avril 2020

Troisième Dimanche de Pâques

"Comme votre coeur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit."

Pietà
Dessin au crayon de Yves Mathonat

L'épisode des disciples d'Emmaüs nous invite à réfléchir à la place de la Parole de Dieu dans notre vie de foi. On sait l'insistance forte depuis le Concile Vatican II, qui avait été "présidé" par le livre des Evangiles, porté en procession au début de chaque session, comme si c'était le Saint Sacrement. Les "deux Tables" de la Parole et du Pain: pour la rencontre avec le Christ ressuscité. Et si spontanément, une prééminence est accordée, comme par instinct de foi, au Saint Sacrement, à cause de la présence "réelle", substantielle de Jésus en son Eucharistie, on se fait un devoir de "rééquilibrer" toussa, en insistant sur les autres présences de Jésus à son Eglise, qui sont aussi "réelles": numéro 7, admirable, de la Constitution sur la Divine Liturgie Sacrosanctum Concilium, premier document du Concile Vatican II, chronologiquement. Mais aussi, autre exemple, la présentation du Sacerdoce, qui ne met pas comme première fonction sacerdotale, la fonction de sanctification par les sacrements, mais bien la fonction d'enseignement par l'annonce de l'Evangile: priorité chronologique (il faut entendre d'abord l'Evangile avant de recevoir les sacrements), mais non pas théologique (la foi et le baptême rendent aptes à recevoir l'Eucharistie pour la vie éternelle, tel est le but de l'annonce). D'ailleurs récemment encore, le Pape François, y insistait: quel est le propre du prêtre seul? Dire "ceci est mon corps" et "je te pardonne tes péchés" dans la Personne même du Christ.
SC 7. [Le Christ est présent dans les actions liturgiques]
Pour l'accomplissement d'une si grande œuvre, le Christ est toujours là auprès de son Église, surtout dans les actions liturgiques. Il est là présent dans le sacrifice de la Messe, et dans la personne du ministre, "le même offrant maintenant par le ministère des prêtres, qui s'offrit alors lui-même sur la croix" (20) et, au plus haut point, sous les espèces eucharistiques. Il est là présent par sa vertu dans les sacrements au point que lorsque quelqu'un baptise, c'est le Christ lui-même qui baptise (21). Il est là présent dans sa parole, car c'est lui qui parle tandis qu'on lit dans l'Église les Saintes Écritures. Enfin il est là présent lorsque l'Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis: "Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d'eux" (Matth. 18, 20). Effectivement, pour l'accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés, le Christ s'associe toujours l'Église, son Épouse bien-aimée, qui l'invoque comme son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au Père éternel.
C'est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l'homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d'une manière propre à chacun d'eux, dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus-Christ, c'est-à-dire par le Chef et par ses membres.
Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu'œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l'Église, est l'action sacrée par excellence dont nulle autre action de l'Église ne peut atteindre l'efficacité au même titre et au même degré.
Sauf que l'effet de miroir est trompeur. Il n'y a pas exactement de symétrie entre la présence du Christ en sa Parole, fût-ce l'Evangile, et sa présence sous les saintes Espèces eucharistiques. Car ici, le Corps est présent objectivement, qu'on y pense ou non, qu'on l'adore ou l'ignore, qu'on y croit ou pas: il est là, c'est lui. C'est pourquoi le texte de SC 7 dit justement présent "au plus haut point". Tandis que là, dans tous les autres modes de présence, par lesquels le Seigneur Jésus se rend réellement présent à son Eglise, il l'est dans la médiation de l'Esprit, qui s'unit à notre esprit, et donc jusqu'à un certain point, à la mesure subjective de notre participation. Certes, c'est le cas aussi pour l'Eucharistie, qui dépend d'abord dans sa "confection" par le Sacerdoce, du prêtre, puisqu'elle est le fruit de la célébration du saint Sacrifice de la Messe: mais une fois la consécration validement effectuée, et la transsubstantiation, le Corps est réellement là "en lui-même", sacramentellement, et non pas seulement "pour nous" ou à la mesure de notre foi. Ainsi, dans tous les autres cas, y compris dans la lecture "quasi sacramentelle" de la Parole de Dieu au coeur de la Liturgie, la Parole est toujours lue par nous, et entendue par nous, et reçue par nous, et comprise et interprétée par le Magistère et par nous. Tout cela est essentiellement "dialogal", et c'est magnifique, de sorte cependant que notre empreinte sur la réalité de ces choses divines est décisive, d'autant qu'elles sont données "pour nous".
On peut comprendre cette limite, en se reportant aux Ecritures, telles qu'expliquées par Jésus au long du chemin. On découvre, quand il parle, qu'en fait tout était annoncé: les souffrances du Messie et son entrée dans la gloire, c'est évident quand il le dit. Et pourtant, les grands prêtres et les pharisiens, gavés d'Ecriture Sainte, n'ont su y trouver que les raisons impérieuses de le condamner. Même aux disciples, Jésus ressuscité est obligé de dire encore "Esprits sans intelligence! Comme votre coeur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit!" Or pendant trois années de son ministère public, il avait déjà expliqué les Ecritures, et saint Jean a cette remarque deux fois: sur le moment, ils ne comprirent pas, mais quand il fut ressuscité, ils se rappelèrent de l'Ecriture et de la parole de Jésus, et ils crurent en lui. C'est donc, au-delà de toutes les médiations Spirituelles de la présence de Jésus à son Eglise, seulement lorsqu'il est lui-même substantiellement, personnellement, et réellement là au Saint Sacrifice de la Messe et en son Eucharistie, que nous pouvons pleinement entrer aussi dans tous les autres modes par lesquels il se proportionne pour ainsi dire à nous pour nous rejoindre. Il y a donc bien une prééminence des Saintes Espèces, du Sacrifice de la Messe, du Saint Sacrement au coeur de la foi et de la vie chrétienne. Certains pasteurs zélés craignent d'y voir quelquefois une "chosification" du mystère du Christ: le sens de la foi des gens simples y reconnaît au contraire le fondement inébranlable de la réalité de tout l'ordre du salut.

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