18 septembre 2020

Notre Dame des Douleurs

 "Femme, voici ton fils. Voici ta Mère"

Dessin Yves Mathonat (1976)

Marie au pied de la Croix évoque immanquablement pour nous, la tendresse inexprimable de notre consécration par Jésus lui-même à Marie, moyen le plus simple et le plus sûr pour que nous soyons fidèles aux promesses de notre Baptême. Et nous ne pensons pas spontanément que cela se vit pour Marie dans des souffrances telles, qu'elle a mérité le titre de Reine des martyrs sans mourir. Or le glaive qui transperce son âme en cet instant, comme l'ont remarqué les Pères de l’Église, c'est justement la parole de Jésus : Femme, voici ton fils ; voici ta Mère. Par cette parole, en effet, Jésus transfuse dans le Coeur immaculé de sa Mère, l'amour qui est dans son propre Coeur, et il y prend la forme du coeur qui l'accueille, du « récipient » comme disaient les anciens, celle de l'amour maternel. C'est ainsi que la Maternité divine de Marie, conduite à sa perfection par les souffrances qu'elle endurât, pour paraphraser la Lettre aux Hébreux, trouve son achèvement dans sa Maternité universelle.

L'unité du Sacré Coeur de Jésus et du Coeur immaculé de Marie avait déjà affleuré à la surface de l'Histoire à l'instant même de l'Incarnation. Tandis que le Christ entre dans le monde en disant : tu n'as voulu ni offrande ni sacrifice, mais tu m'as façonné un corps, alors j'ai dit voici que je viens, ô Dieu, pour faire ta volonté ; la Vierge Marie dit : je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. Mais cette unité remonte avant la création du monde, à « un unique décret de prédestination » du Christ et du Coeur immaculé de sa Mère en vertu « d'une grâce venant déjà de la Croix de son Fils ».

En cet instant suprême, l'adhésion éternelle du Fils à son Père se vit dans l'âme humaine de Jésus lacérée par tous les péchés passés, présents et futurs, comme l'obéissance réparatrice, jusqu'à la mort et la mort de la Croix, avec la certitude de sa résurrection qu'il doit absolument garder. Ce que nous croyons être d'une totale légèreté : « de toutes façons, je vais ressusciter dans trois jours », constitue en réalité l'immense défi, la dernière tentation du Christ : nous sommes ici au-delà de la foi. L'âme du Christ s'enfonce dans l'abîme de la mort et la traverse, la transperce et ainsi en devient vainqueur, et elle est encore toute tendue jusqu'à s'ancrer en Dieu, où il devient source du salut pour tous ceux qui regardent vers lui avec foi. Ce que la Lettre aux hébreux affirme, commentée par Benoît XVI-Ratzinger : « Ayant prié dans les supplications et les larmes celui qui pouvait le sauver de la mort, il fut exaucé en raison de sa piété. »

Cela se vit pareillement en Marie, sous les espèces de l'amour maternel, comme la kénose de la foi la plus abyssale de toute l'histoire du genre humain, laissant loin derrière la foi d'Abraham. Car elle a sous les yeux la négation même des paroles de l'Ange : il sera grand, il sera appelé Fils du Très Haut, le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, et il régnera pour les siècles des siècles. Une plénitude de foi telle, que toute l’Église, pasteurs et fidèles, vient toujours y puiser à longueur de Je vous salue Marie, pour soutenir sa propre foi. Surtout que l'Eglise elle-même est enfantée là à la vie nouvelle, et chacun de ses membres jusqu'à la fin des temps, dans la Mort du Christ et la Compassion, pour nous indicible, de sa Mère : Marie doit regarder ces scélérats, et les Juifs, et les païens, et les Apôtres, et même saint Jean qui est là par qui et pour qui son Fils meure, les regarder désormais comme ses enfants, et les aimer littéralement dans l'amour de son Fils. Marie est bien Mère de l’Église.

Certains évêques, consacrant leur diocèse, ou la ville de Paris, ou la France, pendant ou à l'issue du confinement, aux Coeurs Unis de Jésus et de Marie, ont été en vérité bien inspirés. Car cet amour doit aussi passer dans nos coeurs, et y prendre la forme du « récipient », en l'occurence la compassion tous azimuts que nous vivons tandis qu'on plonge les gens dans le malheur. Compassion qui est dès lors appelée à une conversion crucifiante que nous pressentons peut-être sans avoir le courage même de la penser. Le monde, à l'évidence, se referme sur lui-même, sur sa techno-science, ses ressources et ses moyens à l'exclusion de tout autre, mobilisant les moyens de propagande et de contrainte des Etats modernes, pour tout verrouiller. Il est donc possible que nous soyons peu à peu acculés à la volonté de Dieu la plus fondamentale dans sa rugosité même : seulement offrir des prières et des sacrifices pour la conversion des pauvres pécheurs pendant qu'il est encore temps, et annoncer jusqu'à la fin les récompenses éternelles et la résurrection, anticipées et déjà accessibles ici-bas dans la vie chrétienne et les Sacrements de l’Église.