L’analogie s’applique également à la messe d’avant et d’après le Concile. Elle éloigne la tentation d’univocité quand on envisage la messe telle qu’avant Vat II (la messe de toujours, c’est la Messe éternelle); elle conjure la tentation d’équivocité quand on regarde la messe telle qu’après Vat II (il n’y a plus aucune messe pareille, et tout est messe). Qui dit analogie dit unité et différences, ressemblance et dissemblances plus grandes encore, sachant que le Mystère excède toujours ce que nous en comprenons et que nous mettons en œuvre. Par conséquent, pour mettre à profit toute la richesse de l’analogie, ne réduisons surtout pas l’un des termes à l’autre : en croyant interdire l’un ou en voulant supprimer l’autre ; en cherchant à retrouver tous les éléments de l’un dans l’autre et réciproquement, comme doublons à la sensibilité différente ; en forgeant de son propre chef un troisième terme monstrueux, composé des dépouilles de l’un et de l’autre.
Ce qu’il faut, au contraire, c’est considérer qu’avant Vat II, la sacralité s’exprime dans l’objectivité des éléments de la Messe ; et qu’après Vat II, la sacralité investit les personnes dans leur consécration, respectivement dans le sacerdoce royal des Baptisés, et dans le sacerdoce ministériel reçu par l’Ordre, qui confère le pouvoir sacré d’agir « in Persona Christi Capitis ». D’où la ressemblance et les dissemblances plus grandes encore, dans la disposition de la Messe, son déroulement et le détail de ses rubriques : court-circuiter cela, c’est faire perdre à la célébration sa cohérence ; raison pour laquelle la discipline liturgique l’interdit, tant avant qu’après le Concile.
De fait, la célébration de l’Eucharistie a été recalée de nombreuses fois par l’autorité compétente depuis une cinquantaine d’années, pour contrer les déviances et revenir à la demande conciliaire d’une liturgie allégée et mieux adaptée à la mentalité et au rythme nouveau de nos existences, certainement pas pour une rupture qui fait table rase du passé, typiquement révolutionnaire et contraire à la Foi, laquelle reconnaît dans la Tradition l’une des deux Sources du dépôt sacré de la Révélation, avec l’Écriture Sainte (2). A la célébration « venant au peuple » dévoyée en spectacle, à la prépondérance indue de « l’animation » sur l’Action sacrée, à la banalisation de la Communion, une réponse prudentielle ferme et claire ne peut faire défaut, pour honorer la dimension surnaturelle et essentiellement cultuelle de la Messe.
C’est précisément cela que souligne l’orientation « vers le Seigneur » en vue du Sacrifice; sans renoncer pour autant à la manifestation du rassemblement eucharistique du Peuple de Dieu comme fruit de la mort de Jésus (cf. Jn 11, 51-52). Tandis qu’on expérimente l’Église en chemin dans l’amplification du lectionnaire, des Préfaces et du Sanctoral, avec le souci d’édifier le peuple chrétien ; on doit pouvoir aussi manifester l’irruption du Culte éternel et l’éminence de la Présence réelle dans une messe inchangée depuis des siècles, avec le souci de rendre à Dieu ce qui lui est dû. Celle-ci semble une messe « de combat » tournée vers la Patrie à laquelle on aspire et qu’il faut mériter ; celle-là semble déjà « attablée » au festin du Ciel alors qu’on est encore sur la terre en butte aux persécutions.
On l’aura compris : c’est toujours analogiquement LA messe. Tout a été dit et redit jusqu’à l’écœurement. Ne risquons pas maintenant de nous trouver en guerre contre Celui qui s’offrît une fois sur le Calvaire, le même qui s’offre encore aujourd’hui par les mains des Prêtres, à l’Heure suprême. Car nous ne prenons pas en compte que Jésus Christ, peut-être, s’empare à nouveau de SA Messe. Il nous faut réfléchir sérieusement à la demande de la Messe Perpétuelle il y a cent ans : « C’est donc au nom de l’Univers qu’un Autel sur un point précis, ferait monter vers le Père, Dieu Éternel, sans interruption le Seul Très Saint, l’Unique efficace Sacrifice de l’Agneau sans tache, la sublime adoration, la profonde action de grâce, l’intégrale expiation, l’irrésistible imploration » (Les Rinfillières). Le remède aux fractures de la Hiérarchie, il est là, et le baume sur les blessures du Peuple de Dieu ; la Consolation de l’Église, l’espérance du monde.
L’œuvre de la grâce dans le temps qui passe, la bienveillance des pasteurs et le sens de la foi des fidèles, feront doucement le tri du bon grain et de l’ivraie, en reconnaissant à ses fruits ce qui est de Dieu, comme à toutes les époques de l’Église. Mais pour restaurer la confiance fraternelle dans l’Église, les prêtres doivent dores et déjà servir loyalement, et apprendre dès le séminaire, l’intégralité ANALOGIQUE de LA Messe, et la proposer à tous, dans l’immense respect de la Personne de Jésus Christ qui s’y donne pour la gloire de Dieu et le salut du monde. De même, les fidèles doivent tranquillement s’enrichir de l’immensité de la Liturgie romaine, en s’affranchissant des querelles de clercs, qui n’auraient jamais dû être les leurs. Ainsi, par exemple, les chorales qui accompagnent habituellement la messe comme avant le Concile, peuvent animer l’autre, en rajoutant facilement à leur répertoire deux acclamations grégoriennes : « Mortem tuam annuntiamus » et « Quia tuum est regnum ». De même, ceux qui participent habituellement à la messe comme après le Concile, peuvent retrouver les mêmes formulations latines dans l’autre que l’on suit normalement avec un missel bilingue, privilégiant le recueillement intérieur en la présence d’un si grand Mystère.
Prenons garde, en tout cas, à cet avertissement du Sacré-Cœur, en forme de promesse gravée sur les coteaux des Rinfillières :
« Quand je verrai, dans ce lieu que j’ai spécialement choisi pour répandre sur le monde Mon Amour Miséricordieux, les foules à genoux et demander pardon, mon Père fera grâce, et Mon Cœur apparaîtra dans le triomphe de la Paix, sur une France régénérée. 6-11-1925.
Basclergeensabots
______________________________
(1) Cf. Hb 10 ; SC 7 « Effectivement, pour l'accomplissement de cette grande œuvre par laquelle Dieu est parfaitement glorifié et les hommes sanctifiés, le Christ s'associe toujours l'Église, son Épouse bien-aimée, qui l'invoque comme son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au Père éternel. C'est donc à juste titre que la liturgie est considérée comme l'exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ, exercice dans lequel la sanctification de l'homme est signifiée par des signes sensibles et est réalisée d'une manière propre à chacun d'eux, dans lequel le culte public intégral est exercé par le Corps mystique de Jésus-Christ, c'est-à-dire par le Chef et par ses membres. Par suite, toute célébration liturgique, en tant qu'œuvre du Christ prêtre et de son Corps qui est l'Église, est l'action sacrée par excellence dont nulle autre action de l'Église ne peut atteindre l'efficacité au même titre et au même degré »; S. Th. 3, 8, 5 et 3m « … grâce d'union, grâce personnelle et grâce de chef sont essentiellement une seule et même grâce, avec une distinction de pure raison ».
(2) DV 10 « La Tradition sacrée et la Sainte Ecriture constituent l'unique dépôt sacré de la parole de Dieu qui ait été confié à l'Eglise; en y étant attaché, le peuple saint tout entier, uni à ses Pasteurs, persévère à jamais dans la doctrine des Apôtres… Mais la charge d'interpréter authentiquement la parole de Dieu écrite ou transmise a été confiée au seul Magistère vivant de l'Eglise, dont l'autorité s'exerce au nom de Jésus-Christ. Ce Magistère n'est pas au-dessus de la parole de Dieu; il la sert, n'enseignant que ce qui a été transmis, puisque, en vertu de l'ordre divin et de l'assistance du Saint-Esprit, il écoute pieusement la parole, la garde religieusement, l'explique fidèlement, et puise dans cet unique dépôt de la foi tout ce qu'il nous propose à croire comme étant divinement révélé. Il est donc évident que la Tradition sacrée, la Sainte Ecriture et le Magistère de l'Eglise sont entre eux, selon le très sage dessein de Dieu, tellement liés et associés, qu'aucun d'eux n'a de consistance sans les autres, et que tous contribuent en même temps de façon efficace au salut des âmes, chacun à sa manière, sous l'action du seul Saint-Esprit.