12 août 2025

Textes en souffrance - 5 : Juxtaposition des deux Messes

 

 

JUXTAPOSITION DES DEUX MESSES

TRADITIONNELLE ET ACTUELLE

 

Télécharger en pdf


- sur le Lectionnaire -

Qu’on nous permette de grossir un peu le trait, histoire de terrasser l’orgueil du nouveau Lectionnaire qu’on brandit face à l’indigence prétendue de l’ancien. Pour ce qui est de la Messe, le changement d’orientation saute aux yeux ; les pertes en ligne au niveau du contenu de la foi désolent également la prédication courante ; la confusion des ministres et des fidèles, instaurée par une participation active volontariste, connaît une croissance exponentielle du fait aussi de la diminution constante de la ressource sacerdotale ; bref, le gauchisme bourgeois, naturaliste et sécularisé, repéré dans la refonte des oraisons, se retrouve en réalité partout, tandis qu’il a carrément vitrifié la Liturgie des Heures (le bréviaire) dans sa version française, malgré la fin de « Prière du Temps Présent » pour ceux qui ont vécu la forge de la nouvelle prière dans l’Église qui est en France. Mais la juxtaposition des deux Messes, traditionnelle et actuelle, dans ce qu’elles ont encore de semblable pense-t-on, révèle le court-circuit provoqué par le nouveau lectionnaire. Outre le fait qu’en recommandant de privilégier la lecture cursive sur les lectures propres, bon nombre de messes sont « explosées » parce que la Parole de Dieu n’y a plus de rapport direct avec la célébration du jour, on se rend compte qu’insensiblement, la Personne de Jésus Christ Verbe incarné, est occultée au profit de la figure de l’Église, jusqu’à ce que finalement l’ensemble se résume à notre propre vie chrétienne. Par contre, on ne renoncera jamais : les nouveaux cycles des Lectures sont le fleuron de la réforme demandée par Vatican II, et même les Protestants nous l’envient. Comme quoi, la Parole de Dieu peut être la tentation, on le sait pourtant depuis la rencontre du diable avec le Christ au désert : mais comme Jésus lui-même, « nous répondons au Mal, par l’Adoration » (le représentant du Pape à Sainte-Anne-d’Auray, 26 juillet 2025).

Ainsi donc, on déplorerait de nos jours un recul de la foi en la Résurrection du Christ comme événement réel ? Mais c’est exactement ce que donne à penser le lectionnaire du Temps Pascal ! Dans l’ancien, avec l’usage général de reprendre la messe du Dimanche précédent lorsqu’il n’y a pas de messe propre, on est dans les Semaine ou Dimanche « après Pâques » : autrement dit, il y a un seul événement, c’est la mort et la Résurrection de Jésus de Nazareth, le Verbe incarné. On l’a célébré pendant une octave, après quoi on en rumine les mystères : les premières semaines à partir des apparitions de Jésus vivant, et ensuite en comprenant qu’il faudra être prêt à aller jusqu’au martyre pour rester fidèle. Telle est la Bonne Nouvelle : ce Jésus que vous avez crucifié, Dieu l’a ressuscité, et en gardant la foi, vous serez sauvés ; et on supplie tout ce qu’on sait pour recevoir la grâce de la persévérance, et de l’heureuse issue de nos vies dans cet attachement indéfectible à Notre Seigneur Jésus Christ. On s’achemine ainsi à l’Ascension et à la Pentecôte, temps de l’Église avec Jésus, sa Tête, à l’œuvre en son sein, lui donnant continuellement d’agir dans sa Personne par la puissance de l’Esprit, jusqu’à sa Manifestation glorieuse.

Dans l’actuel, au contraire, on a concentré dans l’octave de Pâques les apparitions personnelles de Jésus ressuscité, de sorte que celui qui ne va pas à la Messe en semaine va en louper quelques unes; car dès le lendemain, c’est le Lundi de la deuxième Semaine « de Pâques » et non pas « après Pâques ». Autrement dit, l’Évènement véritable, il est là : c’est nous ! De fait, comme si on était déjà après la Pentecôte, on lit les Actes des Apôtres depuis le discours de Pierre et jusqu’à la dernière page, avec l’Église et les Apôtres mettant en œuvre l’Esprit du Christ et en son Nom. C’est le temps appelé faussement « pascal », puisqu’il faudrait dire plutôt pentecostal ou ecclésial, pour l’exaltation de trésors dont leurs successeurs sont, non plus les intendants mais les maîtres, allant de gloire en gloire dans l’Esprit Saint. Le Christ ressuscité est sur toutes les lèvres, mais il est complètement escamoté dans sa réalité Personnelle : grâce à l’Esprit et à la fantasmagorie théologique, il est désormais « ce mystère pascal, centre, clé et fin de toute histoire humaine », qui remonte prétendument de toutes les consciences chrétiennement anonymes ou engagées dans l’Eglise, dans une thérapie de groupe et synodale qui les engendre à la foi consciemment vivante.

Pour revenir au lectionnaire dit pascal, la manipulation est renforcée par le fait que parallèlement aux Actes, on lit en saint Jean tout ce qui concerne la vie baptismale à partir de Jn 3 : autrement dit, la résurrection du Christ c’est notre vie chrétienne ; jusqu’à nous confisquer même cela en le concentrant finalement sur les Apôtres et saint Pierre, l’Église institutionnelle (Jn 21) en qui s’enorgueillissent de parler les Pères en reprenant 1Jn 1, 1-3 au début de la Constitution Dei Verbum. Le fameux « obéissez et taisez-vous » que rétorquent des évêques les rares fois où ils dialoguent avec les familles de la liturgie traditionnelle. Mais ne croyons pas pour autant que l’Esprit Saint soit mieux respecté que le Verbe incarné. En effet, on instaure admirablement une neuvaine préparatoire à sa Venue, entre l’Ascension et la Pentecôte, qui reprend en réalité ce qui faisait la substance de l’Octave de Pentecôte. Mais avec une différence d’angle : avec l’Octave de Pentecôte, on s’émerveillait de Son action une fois survenue, et on en vivait le reste de l’année dans la suite des Dimanche appelés, là encore, « après la Pentecôte », lesquels reviennent inlassablement à la Source transcendante de tout ce qu’est l’Église, c’est à dire la Tradition vivante. Par contre, dans la nouvelle neuvaine à partir de l’Ascension, on est en préparation avec Marie la Mère de Jésus : « au Cénacle, nous voilà » ! ce sera ceci et ce sera cela ; mais en attendant il ne se passe rien du tout, puisque nous ne sommes pas encore aux affaires. Et quand arrive le jour de la Pentecôte, dès le lendemain, il ne reste plus rien du Saint Esprit en Personne.

A la limite, on pourra dire une messe votive de l’Esprit Saint le Lundi de Pentecôte ; et depuis François, le coup est rattrapé, oui, oui, avec la messe de Marie Mère.. de l’Église, très belle préface en vérité, et superbe oraison après la communion. Merci Paul VI pour le titre promulgué malgré les cris d’orfraie en plein concile. Mais ensuite, on retombe abruptement dès le Mardi, sur le Temps Ordinaire, sans aucun rapport ni référence aux 100 jours que nous venons de vivre du mystère pascal depuis les Cendres, reprenant la lecture cursive en marche et feignant de nous en passionner. Car ces Dimanche du Temps Ordinaire, qui sauvegardent avant le Carême un minimum de vraisemblance avec le ministère de Jésus dans ses débuts au sortir du Temps de Noël et de l’Epiphanie, ne marquent plus, une fois le mystère pascal liquidé, que l’ordinaire de l’école d'exégèse. Son enseignement consiste essentiellement à ressasser des prescriptions anciennes sur lesquelles Jésus avait tiré la chasse en Mc 7, 19 ; tous pourront toujours mieux en comprendre les tenants et aboutissants, et ainsi voir l’originalité dont a fait preuve il y a 2000 ans, le rabbi de Galilée. 

 

- et le Sanctoral -

Mais enfin, le maître-mot n’était-il pas de se recentrer sur Jésus Christ seul Médiateur entre Dieu et les hommes ? Ce qui a été fait comme le montre notamment le Sanctoral, par les changements tantôt décisifs tantôt minimes dans le Calendrier, il y aurait tant à dire, et par quelques instructions générales : prééminence le Dimanche, de la célébration des mystères du Christ plutôt que des Saints, sauf solennité remarquable ; préférer en Semaine la lecture cursive de la Parole de Dieu, aux lectures propres et communes des Saints ; tandis qu’ont disparu du flux des prières de l’Ordinaire de la Messe, la mention des saints Pierre et Paul nommément en plusieurs endroits décisifs de la célébration (acte pénitentiel, offertoire, prière eucharistique sauf la première, communion). Or, à l’usage, il faut oser regarder ce qu’il se passe. Ceux qui ne vont à la Messe que le Dimanche, n’ont pratiquement plus jamais la célébration des Saints eux-mêmes au cours de l’année, même Solennités avec vigile qui ne sont pas de précepte. Ceux qui vont à la Messe aussi en Semaine, n’ont pratiquement jamais les mémoires facultatives des Saints, ou alors seulement l’oraison ou le propre, évidemment sans les Lectures, et on ne prêchera guère sur leurs exploits ; pour les mémoires obligatoires, on a généralement le propre sans le commun éventuel, et les lectures seulement lorsqu’elles sont obligatoires aussi, avec la complication si la première lecture ou seulement l’évangile sont prescrits, de préparer deux lectionnaires à l’ambon pour passer de l’un à l’autre au moment opportun. Restent les Fêtes, lorsqu’elles ne sont pas torpillées par la survenue d’un Dimanche, et au panégyrique ou prône ou préférera habituellement l’homélie biblique que catéchétique ou parénétique, moins clivante.

Sans doute, la bienheureuse Marie toujours Vierge, semble mieux traitée, avec des solennités de précepte, qui auront éventuellement le pas sur le Dimanche. Mais elle n’est pas vraiment épargnée non plus : on insistera jusqu’à la nausée sur le fait que ce qui est grand dans la Vierge Marie et que l’on doit célébrer, c’est le Christ ! En elle-même, d’elle-même, la Mère de Dieu est surtout disciple du Christ comme vous et moi, humble servante. Et là, éclate la supercherie : en fait de recentrement sur le Christ, avec l’occultation des Saints et le rabaissement des privilèges de la Vierge Marie, les seuls protagonistes bien vivants du mystère chrétien, ceux qui comptent, c’est nous-mêmes, les baptisés et la hiérarchie actuelle. L’univers chrétien, c’est les seuls dont on parle à longueur d’année liturgique : c’est le Christ et nous, nous et le Christ ; baptisés dans le Christ, sans plus de modèles ou d’intercession de nos frères aînés parvenus à la gloire ; hiérarchie actuelle, parce que saint Pierre et saint Paul c’était il y a 2000 ans et non pas bien vivants et quatre fois présents à chaque messe à laquelle je participe. A l’inverse, la pratique tant décriée de marquer fortement la célébration des Saints et de la Vierge Marie selon l’ancien Sanctoral, permettait au fidèle de comprendre spontanément qu’il n’était pas seul pour la traversée d’ici-bas, et qu’entouré d’une foule de témoins qui l’ont précédé, comme s’en émerveille la Lettre aux Hébreux, il pourrait espérer en les imitant et moyennant leurs suffrages, sortir vainqueur du bon combat et parvenir lui-même à bon port si du moins il persévère jusqu’à la fin. Tout cela n’offusque pas la gloire du Christ et encore moins son unicité, puisqu’il ne s’agit que de la vocation à son mystère, et de la participation à sa grâce jusqu’à l’héroïsme ; splendide rayonnement de ceux qu’il sauve en les rassemblant les uns avec les autres, les uns par les autres, avec au sommet : l’élévation de la Mère du Verbe incarné et notre Mère.

C’est ainsi qu’avec la célébration ostentatoire du mystère pascal pendant cent jours en Mémorial, et de Dimanche en Dimanche, à tout Seigneur tout honneur, en réalité la grâce en est neutralisée. On referme la parenthèse surnaturelle, et on reprend le business des religions dans le monde, dont le prince jouit d’avoir ainsi liquidé son Adversaire jusque dans l’âme de ceux qui sont Ses plus proches et croient L’exalter. Après cinquante ans de cette corrosion insidieuse, l’effondrement n’est pas encore complet, alors on accélère la corruption ouvertement : exit le droit canon, exit la constitution hiérarchique du Peuple de Dieu, exit l’adoration et le sacrifice, exit la vie éternelle et la bienheureuse espérance, exit le machisme et le sexisme, exit la communication sirupeuse, place à l’anathème. Autant de leçons mal assimilées, qui jettent le trouble et vous plantent ensuite là : mais pourquoi s’étonner de ce qui serait une inconséquence ? Absolument pas : ce n’est pas un nouveau contenu que l’on doit imposer, mais une agitation que l’on doit instiller pour empêcher l’Action véritable. On comprend dès lors, qu’on s’est efforcé de faire disparaître la messe traditionnelle, pour éviter que le pot-aux-roses ne soit découvert, car nous ne sommes pas des lapins de six semaines : l’histoire non-hagiographique de Vatican II commence à être étudiée, et les circonstances pour le moins sulfureuses de l’enquête ayant conduit à Traditionis Custodes et à la brutalité de son application outrageusement partiale, sont maintenant révélées. Au fond, peu importe, pourvu que le trouble continue ! Les anges ne disent-ils pas à l’Ascension : pourquoi restez-vous à regarder le Ciel ? Qu’il y soit en repos, nous nous chargeons de tout ; d’autant qu’il y a deux millénaires, on ne pouvait prévoir les défis auxquels nous faisons face droit dans les yeux.


Basclergeensabots

La Vieille Poste, 12 août A.D. 2025

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.