La solennité de l'Ascension se présente à nous dans une souveraine ambiguïté: en quittant cette terre, Jésus nous laisse-t-il un grand vide ou un grand plein? Ambiguïté que la foi suffit à dissiper, mais qui se transforme en terrible malentendu pour l'Eglise sécularisée de notre temps. S'agit-il du dépeçage d'un cadavre, et de dilapider son héritage; ou bien de collaborer avec Le Vivant?
Car la tentation est d'autant plus forte qu'elle vient de l'excellence même du Don de Dieu: le pouvoir des clés, j'ouvre le ciel, je suis saint Pierre et son successeur; à ma parole, le Christ descend sur l'autel! Le moyen de conjurer l'abus du pouvoir sacré, est de contempler sans cesse le mystère du Verbe incarné. Le Christ n'a pas quitté son humanité, tandis que sa divinité disparaissait dans les cieux; et maintenant, à nous de jouer sur terre, jusqu'à un retour qu'au fond plus grand monde n'attend plus vraiment. Au contraire, il nous faut comprendre que le Corps glorieux du Christ a acquis de nouvelles modalités d'existence.
A la Résurrection, son Corps est affranchi des limites de l'espace et du temps. A l'Ascencion, il acquiert une modalité sacramentelle d'existence. Il n'est pas "caché sous un petit bout de pain" comme on le chante faussement aux adorations eucharistiques, il n'y a pas de composé monstrueux de Jésus et de pain: son Corps est réellement présent sous les apparences du pain, grâce à la transsubstantiation, c'est son mode de subsistance sacramentelle, et ainsi de son Sang sous les apparences du vin. A la Pentecôte, le Corps du Christ acquiert une modalité mystique d'existence, en s'agrégeant comme ses membres mystiques, tous ceux qui croient en lui et reçoivent le baptême dans l'eau et l'Esprit Saint.
Comme le chante la Lettre aux Ephésiens, chapitre premier, c'est donc toujours et en tout le Christ lui-même qui est la Tête, le Chef, avec nous tous les jours jusqu'à la fin du monde. l'Apôtre n'a pas de mot pour le dire: l'énergie, la force, la vigueur déployée dans sa Résurrection, pour l'élever au-dessus de toutes puissances, trônes, dominations, et le donner enfin à l'Eglise pour être sa Tête, elle qui est la plénitude du Christ, lui que Dieu remplit, tout en tout.
Or l'établissement du royaume de Dieu en notre temps, nous oblige à envisager de grands ébranlements, nous le sentons bien: c'est parce qu'il y a dans le monde une opposition féroce de toute iniquité: de sorte qu'en se présentant, le Christ fait éclater toussa au fur et à mesure qu'il avance. Alors qu'à l'inverse, lorsque tout a été donné en un instant, lors de l'Incarnation dans le sein de la Vierge Marie, c'est passé complètement inaperçu dans l'Histoire, pas même un frémissement, parce qu'il n'y avait rien dans la Vierge Marie qui fût opposé à Dieu ou lui résistât.
Il ne nous faut donc pas précisément imaginer un retour au paradis terrestre, car ce qui fut le nouvel ordre du monde après le déluge, c'était déjà un ordre dégradé et devenu sanglant. Ce qui se déroule sous nos yeux, c'est désormais et depuis l'Ascension la récapitulation de toutes choses sous un seul Chef, le Christ, qu'il a lui-même prophétisée en ces termes: lorsque j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi. Il annonçait ainsi l'élévation de sa Croix, et l'élévation de sa gloire dans l'Ascension, et finalement l'élévation de son Signe, le Crucifié qui resplendira sur les nuées, et tous alors le verront, même ceux qui l'ont transpercé, lors du Jugement.
Tout ce qui sera compté dans la part du Christ, au bonheur éternel. Et les autres au châtiment éternel; ce qui est encore une miséricorde du Seigneur, puisqu'il ne les abandonne pas purement et simplement, mais maintient pour eux sa Justice.
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